La bête

Elle est immobile et semble dormir, tassée sur elle-même, comme pour se faire oublier. Je la regarde et je cherche à la voir de plus près, mais je ne parviens pas à lui donner une forme précise. Pourtant, en étant plus attentive, je pourrais m’apercevoir que son sommeil est trompeur.

Elle s’est installée, là-bas, dans le fond de la caverne, lovée dans le creux de son ombre. La voilà devenue invisible. Son œil grand ouvert, elle attend… avec patience… son heure.

Je l’ai chatouillée un peu aujourd’hui, sans le vouloir, distraite par ma fatigue. Je l’ai sentie remuer, se mouvoir jusqu’à changer de position, prête à bondir. Il faudra que je prenne garde à ne pas la laisser s’éveiller pleinement car sa force est redoutable et m’effraye. Je la connais bien, je l’ai vue à l’œuvre plus d’une fois, ses griffes, ses crocs, ses coups peuvent être d’une grande violence, et détruire tout ce qu’ils rencontrent. Aucun obstacle alors ne lui fait peur, elle écrase, anéantit, étouffe toute contestation. Comme une ogresse à l’appétit insatiable, elle se nourrit de désespoir, de tristesse, de cris et de pleurs. Ses festins laissent derrière eux des champs de ruine à la terre stérile, et il faut fournir des efforts démesurés pour la rendre à nouveau riche et productive.

S’en débarrasser, l’anéantir est impossible. Il faut apprendre à la côtoyer et savoir vivre avec elle. Je connais cependant des hommes et femmes qui ont su l’apprivoiser, en quelque sorte, et utiliser ses talents, canaliser son énergie pour mener de justes combats. Ces hommes et femmes ont une disposition  commune, l’humilité. Celle qui consiste à ne jamais se croire plus fort qu’elle. Ils ont baigné sa part d’ombre de leur lumière et elle s’est mise naturellement au service de leur cause, sans poser de question. Ils semblent également avoir appris à ne jamais lui faire confiance.

J’ai choisi de la laisser dormir dans l’ombre rassurante de la grotte, loin et proche tout à la fois, et quand elle trépigne ou que je sens monter son impatience, je lui parle avec douceur pour l’apaiser… elle, ma bête noire, elle… ma colère.


Marion Ploix
(un commentaire ?... c'est ici)

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